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18 décembre 2014

Anthologie de la Gazette de la Lucarne

« Ah, Monsieur, vous voudriez un texte sur l’allègement? »

ALLEGEMENT !

Vous voudriez, Monsieur, un texte sur l’allégement. Hélas ! Qu’en ai-je
à faire ? Ne croyez-vous pas que l’être humain, justement, est trop
léger ?

Il est léger d’oublier que l’homme existait bien avant lui et continuera
après lui. Il est léger d’oublier qu’il est là par hasard, un hasard
infinitésimal. Il est léger de s’appesantir sur lui-même, de se croire d’une
telle importance. Il est léger d’oublier qu’il peut mourir à tout moment
d’une balle perdue ou d’un chagrin fatal. Il est léger d’oublier que les
enfants qu’il fait ne sont pas sa chose, sa projection, et il est léger de
tellement vouloir leur plaire qu’il les pousse à la légère. Il est léger
d’oublier de lire, et de lire à voix haute les mots lourds de sens et de
musique et d’émotion dont ont besoin les cœurs angoissés. Et il est
léger de prôner l’allégement dans l’écriture, qui aujourd’hui n’est pas
lourde, mais au contraire réduite à un bon slogan rallongé, étiré, émincé
telle une feuille de papier à cigarette. Il est léger de vouloir ainsi alléger
la littérature quand celle-ci est faite des phrases de Rimbaud ou de
Lautréamont qui roulent avec fracas et nous laminent comme des milliers
de lourds rochers.

Ah ! Un peu de poids sur nos âmes inquiètes ! Voilà ce que je souhaite
aux années qui viennent. Creusons ! Ne< restons pas à la surface. Ne
passons pas comme des papillons. N’ayons pas des pensées aussi
légères que des bulles de bande dessinée, mais des pensées profondes
qui s’étendent, chargées de tout notre passé et de l’avenir confiant en
l’homme ; il a besoin, pour survivre, de nourriture lourde, qui lui tienne au
corps, qui lui donne la force.

Marchons sur terre le nez dans les étoiles, mais collons dessus,
épousons-la. On n’a qu’elle. Aimons chaque pas sur cette terre, aimons
nos seins qui tombent et nos paupières vacillantes, aimons la pesanteur
du noyau : elle nous empêche de dériver à l’infini dans l’espace.