ARCHIVES - LE MORT 2011-2017

Le mort, Pascale de Trazegnies, postface de Michel Host

(Weyrich)

L’homme est mort, son corps bien sagement disposé sur un lit et, tandis que la mère se prépare à jouer son rôle de veuve en organisant la cérémonie des obsèques, sa fille, accourue en hâte, arrive à Bruxelles pour… pour quoi, au fait ? Un dernier salut ? à qui, à quoi ?, car ce corps froid et sans défense est terriblement obscène. On pourrait se venger sur lui d’une vie humiliée ou du moins incomplète, frustrée par l’absence, lui faire subir les derniers outrages si cela avait un sens encore. Mais cette présence tout à coup envahissante du père n’est qu’un leurre, et c’est dans une longue errance nocturne dans la ville que préfère se lancer la fille désemparée, dépossédée. Une errance qui d’alcools en rencontres, de vomissements en coïts peut-être rêvés, de véhicules d’emprunts abandonnés portière ouverte en tentatives de s’introduire en pleine nuit dans une maison fermée, dessine une danse quasi nuptiale autour du mort qui semble tirer pour la dernière fois les ficelles. Eros et Thanatos se frottent, se cherchent et s’esquivent dans ce récit halluciné d’une vérité brulante. Car LE mort (et non pas LA, simple concept), le corps du père et bientôt celui du frère, au bout de la nuit, se sont monstrueusement étendus à la ville tout entière dans laquelle on bat des mains et patauge et s’englue jusqu’à presque y disparaître. Presque.

Alain Kewes, revue Décharge n°170